Violences sexuelles sur mineurs : la co-présidente de la Ciivise se rend dans l'Eure ce mardi

Nathalie Mathieu, coprésidente de la Ciivise (Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a répondu à nos questions avant sa venue à Vernon

Nathalie Mathieu est co-présidente de la Ciivise, lancée en janvier 2021 pour apporter des solutions dans la
Nathalie Mathieu est coprésidente de la Ciivise, lancée en janvier 2021 par le gouvernement. Elle sera présente au lycée Dumézil à Vernon (Eure), mardi 14 novembre pour alerter sur les violences sexuelles sur les mineurs. ©Ciivise
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La Ciivise a pour objectif d’améliorer la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles et d’inceste. Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte elle a été lancée ? 

En janvier 2021, la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a été créée en réponse aux travaux réalisés par l’Église pour libérer la parole des victimes.

Au même moment, Camille Kouchner a sorti son livre La Familia Grande, dénonçant les actes incestueux de son beau-père, le politologue Olivier Duhamel. Ça a été un véritable raz-de-marée. Avant même la publication de ce livre, Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, avait l’idée de créer une commission indépendante pour lutter contre l’inceste qui aurait dû être présidée par Élisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux.

Cette dernière a décidé de se retirer du fait de sa proximité avec Olivier Duhamel. Finalement, la Ciivise s’est créée en janvier 2021 coprésidée par mon collègue Édouard Durand et moi-même. Même si nous sommes nommés par le président de la République, la commission est indépendante.

27 000 témoignages recueillis

Qu’est-ce qui vous a poussé à mener ce combat? 

Pendant longtemps, j’ai travaillé dans le domaine de la protection de l’enfance. Je ne sais pas si c’est une vocation mais j’ai toujours été animée par cette mission. Plus tard, j’ai été directrice générale de l’association Docteurs Bru, basée à Agen (Lot-en-Garonne), qui accueille les enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles. L’association a d’ailleurs ouvert un deuxième établissement à Paris

Votre rapport va être présenté le 20 novembre. Comment avez-vous mené votre enquête durant ces trois années ? 

Nous avons mis en place une plateforme téléphonique, un questionnaire en ligne, organisé plusieurs réunions publiques (26 dont une à Rouen, Ndlr) et auditionné différentes personnes qui ont été victimes. Nous avons recueilli 27 000 témoignages par le biais de ces différents canaux.

Ces témoignages sont ceux d’adultes de 18 à 70 ans puisque nous ne pouvons pas travailler directement avec les enfants. Les jeunes victimes, une fois repérées, doivent avant tout être prises en charge en urgence. Nous avons également visité plusieurs services, comme des Maisons d’enfants à caractère social (MECS) mais c’était très contraignant. Il nous fallait plusieurs autorisations à chaque fois donc nous avons fait malheureusement peu de visites.

« Changer les mentalités sur l’inceste »

Vous avez travaillé avec différents professionnels. Comment vous êtes vous organisé ? 

Avec mon collègue, nous avons choisi une trentaine de professionnels et d’experts pour travailler sur le rapport. La commission est ainsi composée de psychologue, psychiatre, policier, gendarme, professionnel de la protection de l’enfance, représentant d’associations de victimes, magistrat...

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Pour conjuguer toutes ces connaissances, nous nous sommes organisés en quatre sous-commissions : pratique professionnelle (repérage et signalement des victimes),  justice et police (comment enquêter sur ces affaires, comment auditionner un enfant, la prise en charge administrative), accompagnement et soins. Enfin, et ce n’est pas une mince affaire, la dernière commission s’est intéressée à comment changer les mentalités sur ce sujet très tabou qu’est l’inceste. 

Vous avez reçu beaucoup d’appels sur la plateforme téléphonique. Qui s’en est occupé ? 

Nous ne pouvions pas gérer directement cette plateforme téléphonique. Nous avons confié cette mission à une association qui a l’habitude de recueillir les témoignages de victimes, de viol notamment. Il faut avoir une certaine technicité, la capacité d’évaluer les situations et surtout d’écouter les victimes. Il nous fallait donc des professionnels. 

Seulement 3 % des plaintes donnent lieu à une condamnation.

Que pouvez-vous nous dire sur les témoignages recueillis ? 

Beaucoup de personnes se sont exprimées pour la première fois en public, au-delà de leur cercle de confiance. C’est très important de témoigner devant une instance officielle car malheureusement, les victimes ne sont pas toujours reconnues.

Il faut savoir qu’il y a très peu de condamnations. La prise en charge judiciaire est d’ailleurs un élément important de notre rapport. Beaucoup de victimes nous disent qu’elles ont porté plainte mais n’ont plus de nouvelles.

Les dossiers s’enlisent, les faits peuvent être prescrits ou sont anciens. La justice a besoin d’une preuve tangible or, dans ce genre de situation, comment en trouver si l’agresseur ne passe pas aux aveux ? Seulement 3 % des plaintes déposées donnent lieu à une condamnation et peu de victimes portent plainte. Il faut se poser la question aussi du crédit que l’on donne à la parole d’un enfant. Notre société n’arrive pas à concevoir qu’un adulte puisse être un prédateur alors on préfère se dire que l’enfant fabule.

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Comme vous le dites, la prescription des faits peut parfois enterrer une procédure. Abordez-vous ce sujet dans votre rapport ? 

Je ne peux rien vous dire sur le compte-rendu du rapport tant qu’il n’est pas publié. En revanche, effectivement, nous avons été beaucoup questionnés au sujet de la prescription. Certaines victimes souffrent d’amnésie traumatique, un mécanisme de défense qui enfouit les souvenirs trop violents jusqu’à les oublier. Ils peuvent revenir 10, 20 voire 30 ans plus tard sous forme de flashs, de rêves répétitifs…

La victime peut alors prendre un certain temps avant de réaliser ce qui lui est arrivé et les faits peuvent alors être prescrits. Seulement, il y a une évolution. Par exemple, si une personne est poursuivie pour agression sexuelle sur une victime dont les faits ne sont pas prescrits, les autres victimes peuvent se rapprocher de l’affaire même si pour elles, les faits sont prescrits. Aussi, si un nouvel élément s’ajoute à une ancienne affaire, les compteurs sont remis à zéro et il n’y a plus de prescription. 

Se soigner pour le prix d’une maison

Au cours de vos recherches, quelles autres lacunes avez-vous pu déceler ?

Il y en a énormément, je ne sais pas par où commencer ! En premier lieu, il faut savoir détecter les victimes potentielles.

C’est notamment le rôle des professionnels en contact avec les enfants surtout lorsque les adultes entourant les victimes sont issus du milieu familial et leur demandent de se taire. Une fois que les termes sont posés, nous devons prendre en charge le traumatisme généré. Les victimes de violences sexuelles ont très peu accès à des soins adéquats.

Lors d’une réunion publique, une personne nous a confié qu’elle a réussi à se faire soigner mais ça lui a coûté le prix d’une maison. Il y a beaucoup d‘inégalités entre les victimes que cela soit dû au milieu social ou à une zone géographique.

Enfin, il y a beaucoup de travail à faire pour changer les mentalités. L’enfant n’est pas forcément en sécurité dans sa famille. La maison peut être le lien de tous les dangers. Il faut aussi accepter que nous sommes face à un phénomène massif puisque tous les ans, 160 000 enfants sont victimes ce qui représente deux ou trois enfants par classe.

5,5 millions

En France, on estime à 5,5 millions le nombre d’adultes ayant été victimes de violences sexuelles pendant leur enfance. Chaque année, 160 000 enfants seraient victimes soit au moins deux enfants par classe.

Le coût du déni estimé à 9,7 milliards d’euros

Sur vos publications, vous avez évalué le coût du déni, estimé à 9,7 milliards d’euros. Pouvez-vous expliquer ce chiffre ?

 Nous n’avons pas beaucoup de données puisque les enfants parlent peu mais nous nous sommes basés sur les enquêtes menées par l’INED (Institut national d’études démographiques) qui questionne les adultes qui ont été victimes pendant leur enfance. En croisant leurs témoignages, nous avons pu estimer le coût des dommages collatéraux de l’inceste. 

Il y a le coût immédiat : hospitalisation, accompagnement… et le coût des conséquences à long terme : surconsommation et errance médicale, développement des maladies auto-immunes, conduites à risque, perte de productivité (arrêts de travail, burn-out…). Les victimes vivent toute leur vie avec ce traumatisme qui peut avoir de graves conséquences si elles sont délaissées. Ce chiffre a aussi été élaboré par un cabinet spécialisé qui s’est basé sur des chiffres officiels (Inserm, Ined, ministère de la Justice…). 

Des mamans en lutte

Vous avez publié un avis concernant les mamans en lutte face à des ex-conjoints aux comportements incestueux. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Beaucoup de mamans sont venues nous voir pour nous faire part de leur détresse. Séparées de leur conjoint ou en instance de divorce, elles doivent partager la garde avec leur ex. À leur retour, les enfants ont des comportements inquiétants, des gestes déplacés autour de leurs parties intimes à cause des actes incestueux de leur père. Même si ces mamans portent plainte contre leur ex, elle doivent respecter le droit de visite le temps que l’instruction se fasse.

Si elles ne le font pas, elles peuvent être poursuivies. Certaines ont même été condamnées à des peines de prison ferme. Les mamans deviennent folles ! Elles ont beau remuer ciel et terre, elles sont démunies ! Depuis un décret de novembre 2021, on ne peut pas poursuivre une mère pour non-présentation d’enfant s’il n’y a pas eu d’investigation des autorités chez le parent suspecté mais ce décret est inégalement appliqué. Par ailleurs, on les accuse de manipuler leurs enfants contre leur ex ce qui n’est pas le cas.

Selon vos recherches, il y a peu de signalements. Le problème étant que parfois, ils ne sont pas pris au sérieux.

Effectivement, il y a des médecins poursuivis pour avoir fait des signalements. Nous demandons de faciliter les démarches pour les professionnels afin qu’il n’y ait pas de risque pour eux. L’objectif est que tout citoyen puisse signaler des cas inquiétants. Aujourd’hui, seulement 5 % des cas d’inceste ont fait l’objet d’un signalement en amont.

Nathalie Mathieu interviendra à Vernon, mardi 14 novembre au lycée Georges-Dumézil lors d’une réunion publique organisée par l’association les Enfants de Tamar (lire page 3).

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