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Norma : «On ne peut pas se moquer de l’inceste, mais on peut en rire»

Norma
Norma Quentin Chevrier

Victime d’inceste de ses 3 à 12 ans, elle témoigne dans le documentaire coréalisé par Emmanuelle Béart, Un silence si bruyant. Et raconte son histoire dans Norma(le), un spectacle de stand-up drôle, et poignant.

Norma, c’est cette jeune femme qui, dans Un Silence si bruyant, le documentaire sur l’inceste d'Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova diffusé le 24 septembre sur M6, fait partie des victimes qui témoignent : de 3 à 12 ans, elle a été violée par l'époux de sa grand-mère. Mais Norma, c'est aussi une jeune femme de 31 ans qui aime les balades en forêt avec son chien, le cappuccino, les humoristes Hannah Gatsby et Blanche Gardin. Et qui a fait de son histoire un spectacle de stand-up, Norma(le).

Chaque mercredi, sur la scène du Théâtre du Marais, à Paris, elle raconte la violence de l’agression et ses conséquences, le traumatisme et la résilience, avec autant de lucidité que de dérision. Cette première fois dont elle aurait aimé qu'elle se passe «sur K.Maro ou les L5. Pas avec Thalassa en arrière-fond… » ; ces moments «clopes, larmes et musique» où l’on se surprend, en pleine déprime, à s’imaginer dans un film d’auteur sublime. Ce corps qu'elle a longtemps caché dans des sarouels, avant de l’accepter. Sur scène, Norma accomplit une prouesse : celle de faire rire, d'émouvoir et d'alerter sans basculer dans la provocation, ni le malaise. «Je crois qu'on est assez percutés dans la vie pour se faire percuter quand on paye un spectacle», explique-t-elle dans le café où on la rencontre, un matin de septembre. Reste qu’on ressort de Norma(le) secoués, admiratifs, et les yeux dessillés.

Le pouvoir du rire

Madame Figaro.- Peut-on vraiment rire de l'inceste ?
Norma .- Oui, je crois. Je crois qu'on ne peut pas se moquer, mais qu'on peut en rire. En revanche, il faut vraiment faire attention à la façon dont on en rit. Une blague pour quelqu'un qui ne l'a pas vécu peut être une “non-blague” terrible pour une victime. Mais avec finesse, on peut rire de tout.

Pourquoi avoir choisi de raconter votre histoire via un spectacle de stand up?
J'ai choisi la forme avant l'histoire : j'ai toujours rêvé d'être humoriste, depuis toute petite. Il y a quelque chose que je trouvais fou, d'assez jouissif dans le fait de rire et de faire rire. Je voulais écrire un spectacle d'humour : comme j'expliquais que j'avais une vie très mouvementée, ma metteure en scène, Coralie Lascoux, m'a suggéré de raconter pourquoi. Je ne pensais pas pouvoir faire de spectacle sur l'inceste : c'est hyperintime, je pensais que ça allait faire chier les gens, et surtout j'avais très peur que ce soit pathos. Puis j'ai réfléchi, et j'ai compris qu'il était important de donner la raison de tout cela. Et je me suis fait surprendre moi-même par le sujet de mon spectacle.

Avez-vous également été aussi surprise de constater qu'on pouvait faire rire avec l'inceste?
Je n'ai pas été surprise de faire rire parce que c'est mon métier. L'humour, c'est un peu de la science : quand j'ai écrit le spectacle, j'ai tout mis en place pour que ça fasse rire. Mais j'ai été surprise que ça fasse autant de bien aux gens, au-delà de les faire rire. Des filles ont porté plainte et se sont même autorisées à en parler dans leur famille ou à leur mec. C'est la magie de la libération de la parole : souvent, ça porte beaucoup de gens.

Vers la lumière

Norma(le) DR

Dès le début du spectacle, on entend des voix off dire que ça va trop loin, que l'on ne peut pas rire de l'inceste. Comment avez-vous dépassé ces objections?
Je déteste me faire dicter ce que j'ai à faire dans la vie en général, encore plus par des femmes : on est en train de sortir de toutes sortes d'injonctions patriarcales, alors je n'ai pas du tout envie que d'autres femmes me disent ce que je dois faire pendant les 60 prochaines années. Des féministes un peu extrémistes m'ont envoyé des messages en me disant que rire de l'inceste, c'était une insulte faite aux victimes, que je n'avais pas pu vivre des choses aussi graves que ça si j'arrivais à le dépasser de cette façon. Des commentaires qui auraient pu être prononcés par des hommes il y a trente ans! Mais moi, j'avais envie de rassurer tout le monde sur le fait qu'on avait le droit de faire ce qu'on veut de son drame. Je ne crois pas que l’humour rende le propos léger, ni qu'on ressorte en se disant «ben en fait, le viol, c'est rien». L’inceste, c'est horrible quelle que soit la façon dont on le traverse, mais je crois qu'il faut autoriser les gens à les dépasser cela. Et le rire permet de dépasser les choses.

Pour moi, le spectacle parle bien évidemment d'inceste, mais surtout de se défaire de sa condition et d'aller chercher un peu plus de lumière

Norma

Mais le rire comme catharsis, n'est ce pas un peu cliché?
Si. Ce n'est pas le spectacle qui m'a soignée : c'est parce que je me suis soignée que j'ai pu faire le spectacle. Il faut arrêter avec cette idée selon laquelle la libération de la parole soigne. Non : le travail thérapeutique apporte la possible libération de la parole, et encore ; l'emprise, ça peut être tellement fort et violent qu'il y a des femmes qui, malgré un travail quotidien, ne s'autoriseront jamais à en parler.

Dans Norma(le) , vous évoquez aussi des sujets comme l'écologie, la thérapie, les relations hommes / femmes, auxquels votre public peut s'identifier. Avez-vous consciemment travaillé cet aspect?
Non, je ne crois pas. Dans ma vie, il y a plein d'autres choses que l'inceste : je suis aussi une femme de 31 ans, je raconte ce que je traverse. Qu'on se remette du divorce de nos parents ou d'un inceste, nous sommes tous en quête d'aller mieux et de nous défaire de ce qui nous a construits. Pour moi, le spectacle parle bien évidemment d'inceste, mais surtout de se défaire de sa condition et d'aller chercher un peu plus de lumière. Ça, c'est universel.

Une libération

Sur scène, vous ôtez progressivement plusieurs couches de vêtements. Pourquoi ce choix de mise en scène?
J'ai mis très longtemps à m'habiller de manière féminine, ça a généré des angoisses folles pour moi d'être désirable. Sur scène, il était important de montrer cette femme qui tente coûte que coûte de toucher du doigt sa désirabilité, sa féminité. Quand j'ai commencé l'écriture de ce spectacle, j'étais en baggy. Et aujourd'hui, je suis devant vous avec un décolleté et un pantalon moulant. J'avais envie de mettre en scène le fait de s'alléger, d’aller de mieux en mieux, de se découvrir, d'arrêter de se cacher.

Dans le spectacle, le moment où j’imite mon agresseur est le plus dur à jouer

Norma

Le spectacle aborde aussi des questions de sexualité qui vont au-delà de l'inceste.
Je crois que c'est ce dont je suis le plus fière. Il y a une idée selon laquelle nous, les victimes d'inceste, on n'a pas de sexualité, ou en tout cas pas classique, parce qu'on a été traumatisés... Mais le viol, ce n'est pas du sexe! On a le droit d'explorer la sexualité parce que ce n'est pas avec le viol qu'on l'a fait : on a été agressés, ça n'a rien à voir. J'avais envie de dire que j'avais très peur de la sexualité, mais de montrer que je pouvais jouir, faire l'amour et que je n'étais pas obligée d'éteindre la lumière. Il y a un moment on rallume la lumière, et c'est cool de l'exprimer.

L'un des moments les plus forts du spectacle est quand vous imitez votre agresseur. Comment vous est venue cette idée ?
On parle toujours des agresseurs, mais on ne les voit jamais. Ils sont floutés à la télé, et dans les films, souvent, on ne voit pas leurs visages. Mon grand-père ne représente pas tous les agresseurs, mais j'avais envie d'en montrer un pour dire , «Voilà comment il fonctionne. Méfiez-vous peut-être de ce genre d'homme gentil, parfois très rude, parfois défiant, puis à nouveau gentil.» C'est peut-être le seul moment où je me suis soignée sur scène d'ailleurs : j'avais envie de l'envoyer chier. Mais c'est le moment le plus dur à jouer. Si je suis dans un bon jour, ça va. Mais il y a des fois où moi-même, ça ne me fait pas rire. Ou en le jouant je me dis : «Mais quel connard...».

Questionner la justice

Vous travaillez déjà sur un nouveau spectacle, qui portera sur la justice?
Oui, j'en suis au stade de la toute première écriture. La 2e étape de ma résilience a été de porter plainte, d'être confrontée à la justice (en 2018, l’agresseur de Norma a été reconnu coupable et condamné à six mois de prison avec sursis et 100.000 euros de dommages et intérêts, NDLR). Et j'ai trouvé catastrophique la façon dont j'ai été traitée. C'est moi qui ai fait des analyses psychiatriques en premier. C'est moi qui ai été entendue pendant des heures avant que mon grand-père ne le soit. J'ai été confrontée à ces experts, des gendarmes, des médecins qui doutaient de moi, et c'est hyperviolent. Heureusement que j'avais fait un énorme travail thérapeutique : je pense qu’une personne moins ancrée peut douter, ou se rétracter. Ou en tout cas, elle n'osera pas dire exactement ce qui lui est arrivé.

Vous avez touché des indemnités avec lesquelles vous avez monté le spectacle.
Oui, j'avais envie que cet argent revienne à la cause. Je n'avais surtout pas envie de me payer une maison ou une voiture avec. Ce qui n'est pas logique parce que je ne suis pas riche et que je viens d'une famille qui ne l'est pas non plus. J'aurais peut-être dû être moins «ésotérique» dans ma gestion de l'argent. Mais je ne regrette rien.

Norma : «On ne peut pas se moquer de l’inceste, mais on peut en rire»

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2 commentaires
  • Marianne

    le

    Bravo Norma! Je suis pleine d’admiration pour un tel discours, si censé et droit dans ses bottes. Quel courage, quel bon sens et quelle force!

  • DMDMDMDM

    le

    Le scandale n'est pas de rire de l'inceste. Le sandale c'est 6 mois avec sursis. Moins d'un an de prison, comme d'habitude !

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