M6 – DIMANCHE 24 SEPTEMBRE À 23 H 00 – DOCUMENTAIRE
Le voilà enfin, ce documentaire dont tout le monde parle mais que (presque) personne n’a encore vu. Ce film où l’actrice Emmanuelle Béart prend la parole pour casser le « silence si bruyant » dans lequel, comme tant de victimes d’inceste, elle reconnaît qu’elle s’était enfermée depuis son adolescence.
Celle qui fut césarisée à 23 ans pour Manon des Sources (1986), en 1987, interprète à 60 ans son plus beau rôle : soi-même. Dans une réalisation tout en délicatesse d’Anastasia Mikova, qui a su la convaincre qu’un documentaire était « le format le plus juste » – et le plus puissant, diffusé sur une grande chaîne pour toucher une vaste audience, inciter les millions de victimes à parler, enfin. Comme le font les quatre personnes, trois femmes et un homme, qui témoignent à visage découvert devant la caméra.
Une des scènes marquantes montre l’actrice, face à un lac paisible, dans un dialogue complice avec une adolescente qui fut abusée par son père entre 4 et 8 ans. Comme un passage de témoin générationnel. Ce film, confie en conclusion Emmanuelle Béart d’une voix douce, « je l’ai fait par amour pour l’enfant que j’ai été ».
Procédure et déni
Les quatre « anonymes », dont seuls les prénoms sont cités, racontent les enfants qu’ils étaient eux aussi. Ces « cercles de silence » – personnel, familial, sociétal – qu’ils ont mis du temps à briser. Chacun évoque son histoire, la manière de la dire, d’en sortir et de s’en sortir enfin, peut-être. Pour tenter de « tordre le cou à [ses] névroses », Norma, 31 ans, violée par son grand-père entre 3 et 12 ans, a fini par en faire un spectacle de stand-up. Titre : Norma[le], comme un bras d’honneur à ceux qui voulaient « [lui] confisquer [sa] vie ».
Le quadra Joachim évoque ces vidéos où son père le filmait nu sous la douche lorsqu’il avait 8 ans, sa mère en train de l’embrasser « sur la bouche, avec la langue parfois ». Autant de preuves tangibles dans la procédure qui l’oppose à ses parents dans le déni, encore vivants mais dont il a « déjà fait le deuil ». « On croit qu’on devient dingo », répète Pascale, abusée par son père à 11 ans, et qui sort à peine de son amnésie à 56 ans. Sarah – la mère de l’ado citée plus haut – fustige une justice qui, « par son inaction, devient complice ».
C’est finalement Emmanuelle Béart qui en dit le moins. Mais elle n’est pas là pour ça. « Au départ, elle ne voulait même pas être à l’écran ! », rappelle la réalisatrice. Sa présence et sa voix rythment le film, illustré d’animations aussi fortes que poétiques, représentant des enfants sans bouche avec une fleur à la place du cœur.
Le duo n’entend pas en rester là. Deux ministères, la justice et l’éducation nationale, sont en ligne de mire. Après la diffusion sur M6 ce soir, Un silence si bruyant peut, disent-elles, devenir un instrument de formation pour les juges. Voire être diffusé dans les établissements scolaires. « Si le cœur est touché, la conscience l’est aussi », dit la comédienne, qui a rejoint l’appel collectif paru dans Le Monde, le 7 septembre, à ne pas sacrifier la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, la Ciivise, dont le mandat arrive à échéance en décembre. Encore des voix qui risquent de ne pas être entendues…
Un documentaire de service public sur une chaîne privée ? Voilà qui dit bien l’universalité du combat à mener pour briser ce « silence si bruyant ».
Un silence si bruyant, d’Emmanuelle Béart et Anastasia Mikova. Avec Norma, Pascale, Sarah, Joachim (Fr., 2023, 100 min).
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