TéMOIGNAGESLes proches des victimes d'inceste face à « un monde qui s’écroule »

Inceste : Les proches des victimes face à « un monde qui s’écroule »

TéMOIGNAGESLes proches de victimes d’inceste sont venus raconter à Nice, face à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences, la découverte ou la révélation des sévices qui souvent font l’effet d’une bombe
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est venue recueillir des témoignages à Nice, mercredi soir
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est venue recueillir des témoignages à Nice, mercredi soir - F. Binacchi / ANP / 20 Minutes / 20 Minutes
Fabien Binacchi

Fabien Binacchi

L'essentiel

  • Pour les proches de jeunes victimes d’inceste, l’annonce de ces viols, de ces agressions, de ces sévices fait l’effet d’une bombe que certains sont venus raconter cette semaine à Nice, face à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
  • « Dans la grande majorité des cas, les parents tombent des nues. Ils sont la plupart du temps les derniers informés, du fait de la proximité des agresseurs », explique une enseignante, ancienne victime, qui accueille désormais la parole de ses élèves.
  • « Des mères qui avaient reçu des révélations d’inceste se sont vues accusées de manipuler les institutions. La société doit faire un choix. Elle doit décider qui elle protège », soulève également Edouard Durand, coprésident de la Ciivise.

La déflagration, le sentiment de n’avoir pas su détecter et protéger à temps, la colère, etc. Pour les proches de jeunes victimes d’inceste, l’annonce de ces viols, de ces agressions, de ces sévices fait l’effet d’une bombe. « C’est le monde qui s’écroule », témoigne de manière anonyme Nicole*, la maman d’un petit garçon de 8 ans. A Nice, où la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est venue, cette semaine, recueillir des témoignages spontanés, dont le sein, une plainte a été déposée, avec constitution de partie civile, contre le père de l’enfant.

Mais alors comment comprendre l’indicible quand on est parent ? « J’ai d’abord saisi qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas au niveau de son comportement. Il ne voulait plus se laver. Notamment les parties intimes. J’ai vu qu’il y avait un problème en tant que maman et j’ai essayé de l’analyser en tant que professionnelle, répond la jeune femme. J’ai fait une reconversion il y a quelque temps en tant qu’auxiliaire de puériculture. J’ai essayé de prendre du recul et j’ai su que c’était grave. »


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« Beaucoup de parents tombent des nues »

C’est finalement à son grand frère, adolescent, que le garçonnet alors âgé de 5 ans s’est confié. « Il lui a dit : ''Oui, quelque chose ne va pas. Oui, j’ai un secret. Mais, je ne peux pas en parler sinon toute la famille ne me parlera plus''. Il a surtout décrit des choses qu’un enfant de cet âge ne peut pas avoir inventées », détaille Nicole, qui se bat désormais pour que la justice reconnaisse à son fils le statut de victime et poursuive l’auteur présumé des faits. « Je vais continuer. Jusqu’au bout. En attendant, je pense avoir fait tout ce que j’ai pu pour protéger mon fils dès que ça a été possible », assure-t-elle.

Tous les proches de ceux qui ont été la cible d’agressions incestueuses n’ont pas le même sentiment. D’autant plus quand ils n’ont rien vu venir. « Dans la grande majorité des cas, les parents tombent des nues. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne l’ont pas appris plus tôt. Pourquoi leur enfant ne s’est pas confié plus rapidement. Mais c’est très souvent le cas. Ils sont la plupart du temps les derniers informés, du fait de la proximité des agresseurs. Passé ce constat, il y a évidemment beaucoup de colère », explique Audrey Pons, à visage découvert.

Cette Azuréenne a elle-même été victime d’inceste quand elle n’était qu’une fillette. Des viols qu’une amnésie traumatique lui avait permis d’oublier pendant « seize ou dix-sept ans ». « Ce qui s’est passé, j’en ai fait une force. Et, aujourd’hui, j’en fais profiter autour de moi », confie celle qui est enseignante à Nice, accueille désormais la parole des victimes, de ses élèves, et lance des alertes.

« Opposer une stratégie de protection à celle de l’agresseur »

Alerter, c’est justement ce que certains s’emploient à faire au sein même de leur famille, pour « casser des chaînes, pour empêcher des prédateurs de continuer », analyse Gisèle*. Devant la Ciivise, cette septuagénaire a expliqué avoir été, dans ses jeunes années, « abusée par son frère, avec la complicité » de leur mère. « Il a eu trois garçons. Quand l’un d’eux s’est marié et est devenu papa d’une petite fille, je suis allée lui parler, le prévenir. » Un réflexe pour éviter que le pire ne se reproduise. Le bon.

« Il faut résolument faire le choix de la protection, rappelle le magistrat Edouard Durand, coprésident de la Ciivise. Si un adulte a connaissance d’une situation de danger ou qui pourrait le devenir, il doit aussi et surtout appeler les services de protection et notamment le 119, le numéro de téléphone anonyme et gratuit de l’enfance en danger. »


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Et ensuite ? En attendant l’aide des services sociaux, de psychologues, de la justice, que faire ? En tant que proche, en tant que parent, comment être sûr de bien réagir ? « Il est important de connaître la stratégie de l’agresseur pour lui opposer une stratégie de protection. S’il isole la victime, il faut au contraire créer un réseau de soutien. S’il inverse la culpabilité, il faut remettre la loi à sa place. Rappeler qu’il n’avait pas le droit. S’il culpabilise, il faut restaurer la victime dans sa dignité et dans sa légitimité », détaille encore Edouard Durand auprès de 20 Minutes.

Concepts antivictimaires, aliénation parentale…

Y compris pendant le temps judiciaire. « Et même si c’est très compliqué », témoigne Nicole, dont la première plainte contre son ancien compagnon a été classée sans suite. « On nous incrimine tout au long de la procédure. On passe de victimes à suspects. Tout est vraiment très compliqué. » Un témoignage que la Ciivise, qui en a déjà recueilli plus de 23.000 depuis sa création en 2021, a entendu dans de nombreuses familles.

« Des mères qui avaient reçu des révélations d’inceste se sont vues accusées de manipuler les institutions. Il est question de concepts antivictimaires, comme celui de l’aliénation parentale, qui sont extrêmement dangereux, pointe le coprésident de la commission. On fonctionne encore avec des injonctions paradoxales qui paralysent. On dit aux enfants : ''révélez les violences que vous subissez, mais si vous parlez d’inceste, nous ne vous croirons pas''. On dit aux mères : ''vous devez protéger vos enfants, mais si vous parlez d’inceste, nous dirons que vous mentez''. La société doit faire un choix. Elle doit décider qui elle protège. »


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La Ciivise, installée pour « formuler des recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles, mieux protéger les enfants victimes et lutter contre l’impunité des agresseurs », doit rendre son rapport définitif en novembre. De nouvelles journées de témoignages sont prévues d’ici là. En attendant, elle doit déjà formuler dès demain, lundi, deux préconisations d’ordre budgétaire pour inscrire le sujet dans le projet de loi de finances du gouvernement et dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

*Les prénoms ont été modifiés.

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