À Agen, une maison accueille les garçons victimes d'inceste

L'entrée de la maison d'accueil Jean Bru à Agen. ©Radio France - Mathilde Vinceneux
L'entrée de la maison d'accueil Jean Bru à Agen. ©Radio France - Mathilde Vinceneux
L'entrée de la maison d'accueil Jean Bru à Agen. ©Radio France - Mathilde Vinceneux
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La maison d'accueil Jean Bru à Agen est la seule structure en France à proposer une prise en charge spécifique pour les enfants victimes d'inceste. Elle accompagne des filles depuis plus de 25 ans et désormais aussi des garçons, qui représentent une victime d'inceste sur dix.

C’est une maison qui ressemble à toutes les autres. Pas d'écriteau à l’entrée, un portillon, un jardin avec des cerisiers, et à l’heure du repas, des odeurs de cuisine. Derrière les fourneaux, Aurélie, la maitresse de maison, et un jeune homme de 17 ans. "Il aime beaucoup cuisiner et s'occuper donc c'est un très bon commis." L’adolescent est arrivé il y a deux mois, il est l’un des premiers pensionnaires masculins. "Je me sens vraiment très bien, pour une fois je suis bien adapté dans un lieu je le vis plutôt bien. Même si je suis un peu loin de ma famille."

"Amener à réintroduire le non"

Les garçons pris en charge ici arrivent de toute la France, après avoir souvent multiplié les séjours en foyer d’urgence ou en famille d’accueil. Les éducateurs spécialisés les accompagnent pour reconstruire un quotidien, une vie domestique saine. Toutes les chambres sont individuelles et pour Laetitia Garimbay, coordinatrice du pôle garçon, c'est très important. "Cela leur permet d'avoir un espace personnel, de travailler leur intimité, effractée par les agressions sexuelles." L'objectif est également "d'être capable de dire à des individus : 'non, tu ne rentres pas chez moi' ou 'non, tu ne me touches pas'. C'est vraiment amener à réintroduire le 'non'."

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Laetitia Garimbay explique également qu'ils "ont tous aussi une corbeille avec leur linge, c'est-à-dire que c'est eux qui vont nettoyer leur linge. Parce que le linge ça touche la peau, ça touche le corps et notamment les sous-vêtements, les jeans, c'est vraiment important pour protéger leur intimité."

Anticiper le risque de "reproduction"

Ici il y a des règles à respecter pour déconstruire les mécanismes de l’inceste. Pas de secret, par exemple, entre un adulte et un enfant. Pas de téléphone pour les adolescents : il faut éviter les contacts non encadrés avec leur famille, avec leur agresseur. Mariane Lousteau, directrice adjointe de la maison d’accueil Jean Bru, explique que "ce sont des enfants qui ont grandi dans des familles très dysfonctionnantes, famille qui est censée les protéger, et là le danger vient de l'intérieur de cette famille. Il y a tout un travail de reconstruction du lien. [...] En tout cas eux, il faut qu'ils arrivent à se situer là-dedans et surtout, ce qu'il faut que l'on travaille avec eux, c'est ce qui a conduit aux situations d'inceste. Pour qu'après, en tant que parents, ils ne le reproduisent pas." Car pour Mariane Lousteau, "il y a des risques de reproduction, de manipulation, de problème de rapport à l'autre".

Au rez-de-chaussée, une pièce est réservée aux éducateurs. Ils préparent l’arrivée dans quelques jours d’un adolescent de 14 ans et ils viennent de l’apprendre : ils vont devoir accueillir en urgence une autre victime, un garçon de 11 ans. "Faut le mettre en sécurité, l'apaiser, et après on verra ce que l'on peut faire et construire avec lui", explique Mariane Lousteau.

Des tabous qui s'additionnent pour les garçons

Apaiser ces enfants au parcours souvent chaotique, c’est leur permettre de parler de ce qu’ils ont vécu, dire ce qu’ils n’ont peut-être jamais pu dire. Les éducateurs sont formés pour entendre le pire. Il s’agit de briser les tabous qui ont pu les enfermer dans le silence. Pour William Touzanne, le directeur, "il y ce tabou de l'inceste, et vient se rajouter le tabou de l'homosexualité puisque, que ce soit pour les filles ou pour les garçons, la très grande majorité des auteurs sont des hommes." Il ajoute que "forcément pour les garçons, c'est un abus homosexuel, dans un contexte de société patriarcale où quand on est un homme, on ne peut pas se faire abuser, on ne peut pas donner l'impression de se présenter comme faible."

La prise en charge à la maison d'accueil Jean Bru permet aussi aux garçons d'être reconnus comme des victimes d'inceste, même quand les procédures judiciaires n'aboutissent pas. Dans ces affaires, 7 plaintes sur 10 sont classées sans suite. Une victime d'inceste sur dix est un garçon.

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