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TÉMOIGNAGE - Inceste : "la première difficulté, c'est de porter plainte" explique une ancienne victime

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Ghislaine Pieux, la troisième adjointe au maire de Sens, dans l'Yonne, a été victime d'inceste quand elle était enfant et adolescente. Aujourd'hui, elle est notre invitée et vient témoigner de sa reconstruction et de son parcours, sur France Bleu Auxerre.

Ghislaine Pieux, adjointe au maire de Sens, a été victime d'inceste lorsqu'elle était enfant, est l'invitée de France Bleu Auxerre. (Illustration) Ghislaine Pieux, adjointe au maire de Sens, a été victime d'inceste lorsqu'elle était enfant, est l'invitée de France Bleu Auxerre. (Illustration)
Ghislaine Pieux, adjointe au maire de Sens, a été victime d'inceste lorsqu'elle était enfant, est l'invitée de France Bleu Auxerre. (Illustration) © Getty - Carol Yepes

Elle a été abusée par son père de ses six ans à ses quatorze ans. Son père a été condamné pour ces faits. Ghislaine Pieux est aujourd'hui troisième adjointe au maire de Sens, dans l'Yonne. Elle est venue témoigner de son parcours de vie. Quand on lui demande comment faire, en tant que victime, pour vivre avec ce qui lui est arrivé, la réponse est immédiate. "La première difficulté, c'est de porter plainte. Ce qui n'est pas si simple non plus. Dans ma génération, c'était les années 1970. J'ai été victime de l'âge de six ans à l'âge de quatorze ans. Donc j'ai porté plainte à la veille de mes 28 ans et c'était quasiment à la veille de la prescription à l'époque. Malgré tout, ça reste encore difficile aujourd'hui de déposer plainte. Ce n'est pas simple, c'est pas évident, même si on a #MeTooInceste, même si on a des associations quand on est victime" reconnaît-elle.

"Souvent, vous êtes le vilain petit canard quand vous commencez à parler"

"La problématique, c'est que c'est de l'intrafamilial pour la majorité des cas : ça reste dans la famille. Souvent, vous êtes un peu le vilain petit canard quand vous commencez à parler. Moi, pour mon cas, je vais dire que j'ai eu beaucoup de chance. C'est d'abord parce que j'ai une sœur jumelle et une grande sœur, on était trois à avoir été victime. Et le fait d'avoir une sœur jumelle, je pense que ça nous a plutôt aidé à déposer plainte, même si je l'ai fait la veille de mes 28 ans. Il n'empêche que le fait d'être à deux, ça nous a quand même bien soutenu. Et puis j'ai eu la chance aussi d'avoir un grand frère qui a été plus qu'un soutien, qui nous a accompagné pendant tout le dépôt de la plainte. On a eu la chance de rencontrer directement le procureur, sans passer par la gendarmerie. À l'époque, ce n'était pas rien. En fait, on a eu vraiment beaucoup, beaucoup de chance sur notre parcours judiciaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour beaucoup de victimes" poursuit-elle.

Mieux accompagner les victimes et développer les UAPED

Aujourd'hui, Ghislaine Pieux milite pour que la parole des enfants soit mieux recueillie et se bat pour mieux accompagner les victimes. Elle défend, notamment, le développement des UAPED, des Unités d’accueil pédiatriques enfants en danger. "Ce sont des lieux quand même beaucoup plus adaptés pour accueillir la parole de l'enfant dans les hôpitaux plutôt que dans un commissariat ou dans une gendarmerie. Il ne faut jamais oublier que c'est une victime, qu'elle est blessée. Et quand on est blessé, on va à l'hôpital. On ne va pas forcément dans une gendarmerie ou dans un commissariat", dit-elle.

Comment se rendre compte qu'un enfant est victime ? Comment empêcher ce fléau ? Là encore, avec patience, Ghislaine Pieux répond qu'il faut refaire de la prévention dans les écoles primaires, rappeler que "ton corps est ton corps, que personne n'a le droit d'y toucher". C'est un des premiers gestes à faire selon elle. Ces explications peuvent s'accompagner de la lecture de livres, il y en a beaucoup, aujourd'hui, qui sont adaptés à tous les âges. Car l'inceste frappe même les tout-petits rappelle-t-elle. "Il y a des enfants qui sont victimes avant l'âge de trois ans, entre zéro et trois ans. Donc ça veut dire en maternelle".

"Quand on est enfant, on ne se rend pas forcément compte que ce que l'on vit n'est pas normal"

"Parfois ce n'est pas forcément les parents, parfois ça peut être le grand-père, ça peut être un oncle, mais ça peut parfois être un grand frère" poursuit-elle. "Donc c'est compliqué de parler parce qu'il y a toute cette période de la prime enfance où on ne sait pas que ce n'est pas normal ce qu'on vit, généralement quand on le découvre, c'est à l'adolescence. Moi je l'ai découvert à l'adolescence en me disant : 'Mais c'est bizarre parce que, à l'école, on ne parle pas de ça'. Puis il y a des choses qui font qu'on s'interroge, on pose des questions même si on n'en parle pas franchement", se souvient-elle. Pour elle, certains signaux d'alarme sont à surveiller : une enfant anorexique, par exemple, ou qui a des addictions, "ce n'est pas forcément d'office cette problématique-là, mais en tout cas, il faut s'interroger sur cette question des violences sexuelles", martèle-t-elle.

Sa propre mère était au courant des faits à l'époque, "nous, on le lui a dit assez tôt", mais sa mère n'a rien dit. Il faut se souvenir, explique-t-elle, qu'à l'époque, "ces femmes-là, protégeaient leur mari parce que, pour elles, c'est comme si elles avaient été trompées par quelqu'un d'autre. Donc c'était compliqué. Aujourd'hui, il y a quand même beaucoup de mamans qui dénoncent les faits, mais à l'époque, c'était les années 1970, donc ce n'était pas si évident que ça", raconte Ghislaine Pieux.

Un Français sur dix, victime d'inceste ?

D'après un sondage Ipsos datant de 2020, un Français sur dix confie avoir été victime d'inceste, soit environ 6. 700. 000 personnes. Un chiffre impressionnant, mais peut-être même en dessous de la réalité pour Ghislaine Pieux. "C'est très difficile de parler, mais peut-être encore plus difficile pour les hommes d'évoquer le fait d'avoir été victime d'inceste ou d'avoir été victime de violences sexuelles dans l'enfance. Non, je pense que c'est beaucoup plus et je pense que déjà six millions, c'est énorme ! Ça représente plus de 10 % de la population, ce qui est quand même un phénomène grave ! Et je pense surtout qu'on n'a pas assez d'outils et d'accompagnement", regrette Ghislaine Pieux.

Après trois ans de travaux, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a rendu son rapport final en novembre dernier et fait 82 préconisations pour mieux protéger les enfants contre les pédocriminels. "J'invite tout le monde à lire ce rapport fait avec Édouard Durand [ancien co-président de la Civiise NDLR], qui est un des magistrats qui a vraiment appuyé sur la problématique de l'inceste et du stress psycho-traumatique que provoque l'inceste. Je rappelle que l'inceste, ça a les mêmes effets que les enfants qui vivent la guerre. Donc c'est des années et des années pour se reconstruire... quand on arrive à se reconstruire. Moi, j'ai cette chance de pouvoir me reconstruire et de me dire survivante de l'inceste. Il faut savoir que ces six millions de personnes ont un coût pour la société. Elles ont du mal à s'investir dans la société, donc du mal à travailler", explique-t-elle encore.

"Ce n'est pas aux victimes d'avoir honte, elles n'y sont pour rien"

Aujourd'hui, "survivante de l'inceste", comme elle aime à se décrire, Ghislaine Pieux témoigne. "C'est important d'être là aujourd'hui. On n'a pas à avoir honte ! Ce n'est pas nous qui devons porter la honte ! Ce n'est pas à nous de porter la culpabilité ! C'est à ces hommes et ces femmes qui commettent l'inceste, qui commettent ces violences sexuelles. Il faut que l'enfant prenne conscience, comme la victime à l'âge adulte, qu'elle n'y est pour rien !" car, rappelle-t-elle, les agresseurs savent ce qu'ils font. Ils sont généralement majeurs, majoritairement des hommes et sont aussi, souvent, dans la manipulation "pour vous dire taisez-vous, ne parlez pas". "Moi, j'ai mon père qui m'a menacée de mort à plusieurs reprises. Il a tenté aussi de nous tuer quand on était plus jeune, avec ma sœur jumelle et mon petit frère".

Aujourd'hui, après être passée par "pas mal d'étapes", Ghislaine Pieux s'est reconstruite : "pendant longtemps, malgré tout, on se sent responsable. On se dit qu'est ce qu'on a fait ou pas fait pour avoir mériter ça ? Alors qu'en fait, on n'y est pour rien", conclut-elle simplement.

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