Inceste : derrière les chiffres, le traumatisme

Publié le  , mis à jour le 
en collaboration avec Bruno Clavier (Psychanalyste et psychologue clinicien)

En France, plus de 5,4 millions de personnes ont été victimes d’inceste pendant leur enfance. Un traumatisme difficile à révéler, parfois nié par l’entourage, peu condamné par la justice, et dont les répercussions sont multiples et durables.

Les chiffres de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (Ciivise)

Selon la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux Enfants (Ciivise) chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, soit un enfant victime de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes. Dans son rapport public "Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit", publié le 17 novembre 2023 après trois années de travail et 30 000 témoignages recueillis, la Ciivise constate que dans 81 % des cas, l’agresseur fait partie de la famille. Ces violences sexuelles incestueuses se produisent très tôt puisqu’elles débutent en moyenne à 7 ans et demi. Pour plus de la moitié (51 %) de ces victimes d’agressions sexuelles pendant leur enfance, celles-ci ont duré plus d’un an, pour une victime sur 4 elles ont duré plus de 5 ans et pour une victime sur 10 celles-ci se sont poursuivies plus de dix ans. D’après l’INSERM-CIASE, 5,4 millions de femmes et d’hommes ont été victimes de violences sexuelles pendant leur enfance.

La suite après cette publicité

Définition : Qu’est-ce qu’un inceste ?

L'inceste est une forme de maltraitance caractérisée par un abus sexuel qui survient dans sa propre famille entre parents très proches (entre parent et enfant, au sein de la fratrie y compris avec les demi-sœurs ou frères, entre grand-parent et petit-enfant, entre oncle, tante et neveu et nièce etc.). "A présent, toute personne ayant autorité de droit ou de fait sur l’enfant, comme un beau-parent par exemple, et abusant sexuellement de l’enfant peut être reconnu comme incestueux. Ce n’est plus limité aux liens de sang", précise Bruno Clavier, psychanalyste et psychologue clinicien, auteur de "L’inceste ne fait pas de bruit" (éd. Payot).

D’après le rapport de la Ciivise, les agresseurs sont le plus souvent les pères (27%), les frères (19%) et les oncles (13%). L’inceste englobe des comportements inappropriés tels que des attouchements sur les parties intimes, des baisers volés, de l’exhibitionnisme, des rapports sexuels forcés etc.

La suite après cette publicité

Au-delà des actes physiques, l’inceste est souvent caractérisé par une relation de pouvoir déséquilibrée entre l’agresseur (souvent un adulte issu de la propre famille) et la victime. Celui-ci exerce une emprise psychologique sur l’enfant, peut l’amener à culpabiliser, l’inciter à ne pas révéler ce qui s’est passé, le menacer, lui faire du chantage affectif.

Par ailleurs, depuis 1804, le mariage entre personnes ayant des liens de parenté jusqu'au 3ème degré est interdit. Il n'est ainsi pas possible qu'un frère épouse sa sœur ou qu'une belle-mère épouse son gendre. Parmi les explications avancées, la volonté de créer un ordre social. C'est aussi une manière d'introduire la notion d'inceste.

Manifestations, symptômes et conséquences des violences sexuelles : Comment reconnaître un enfant victime d’inceste ?

Il est très difficile pour un enfant de révéler qu’il est victime d’inceste en raison des liens familiaux qui l’unissent à son agresseur, de la honte qu’il ressent, de son sentiment de culpabilité, de sa peur de briser sa famille, de ne pas être cru ou soutenu… "Il est plus facile de reconnaître les symptômes chez les victimes devenues adultes que chez les enfants qui parviennent davantage à donner le change. Ils ne disent rien spontanément, mais avec le temps et si ces agressions sont répétées, on va commencer à distinguer un comportement qui paraît inhabituel, une anorexie, des scarifications...", remarque Bruno Clavier. Les symptômes et conséquences de l'inceste peuvent varier d'une personne à l'autre mais il est possible de constater, tôt ou tard, chez la victime :

  • Des troubles de la mémoire : Pour se protéger, la victime peut développer une amnésie de certains événements traumatisants. Un élément déclencheur (lecture d’un livre, visionnage d’un documentaire…) peut réactiver ces souvenirs.
  • Des changements de comportement : Elle peut se montrer plus réticente à participer à des activités sociales, se tenir en retrait, sembler plus introvertie, avoir des sautes d'humeur, être plus irritable, triste… Elle peut avoir peur de se faire agresser sans raison apparente.
  • Des problèmes relationnels : La victime peut éprouver des difficultés à établir et maintenir des relations saines. Elle peut rencontrer des problèmes de confiance et d'intimité.
  • Des troubles du sommeil : Des cauchemars fréquents, des insomnies, des réveils nocturnes peuvent être des indicateurs.
  • Des résultats scolaires ou professionnels altérés : Le stress et le choc émotionnel perturbent la victime qui n’est plus entièrement disponible pour mener à bien ses activités scolaires ou professionnelles.
  • Des problèmes psychiques : Des symptômes de dépression, d'anxiété ou même un syndrome de stress, un trouble de la personnalité ou des troubles post-traumatiques peuvent se manifester.
  • Des conduites à risques ou comportements destructeurs : D’après le rapport de la Ciivise, près de 9 victimes sur 10 (89%) ont développé des troubles associés au psychotraumatisme ou trouble de stress post-traumatique (TSPT), tels que l'automutilation ou la toxicomanie, pour faire face à la douleur émotionnelle.
  • Des troubles alimentaires : Des changements dans les habitudes alimentaires, comme l'anorexie ou la boulimie, peuvent être des signaux d'un traumatisme.
  • Un isolement social : Se retirer socialement, éviter les contacts humains sont des réponses courantes chez les victimes d'inceste.
  • Un sentiment de culpabilité : Les victimes d'inceste peuvent éprouver un sentiment profond de culpabilité et de honte associés une dévalorisation d’elles-mêmes.
  • Des difficultés sexuelles : Des problèmes sexuels (phobies, dysfonctions sexuelles, comportements sexuels inappropriés...) peuvent découler de l'expérience traumatique. Ainsi, d’après les chiffres de la Ciivise, 34 % des victimes d’inceste reconnaissent que l'inceste a un impact négatif sur leur libido et 31 % ont renoncé à toute forme de vie sexuelle. A l’inverse, ces violences sexuelles peuvent conduire à une hypersexualité avec une multiplication des partenaires voire des expériences à risque ; c’est le cas pour 36 % des victimes.
  • Un risque accru d’être de nouveau victime de violences : Quand une personne subit des violences sexuelles dans son enfance, elle a deux fois plus de risques d’être victime de violences conjugales, 31 % des femmes le sont ou l’ont été au cours de leur vie selon l’enquête de la Ciivise. Les conséquences de l'inceste sont donc multiples, profondes et souvent durables.
La suite après cette publicité
À voir aussi

Pourquoi est-ce difficile de se souvenir d'une relation incestueuse et d'en parler à sa famille ?

En principe, un enfant a peu de souvenirs de sa prime enfance, avant 3-4 ans. C’est une amnésie infantile classique. Mais il arrive que suite au traumatisme vécu, la victime développe également une amnésie. "C’est un mécanisme de défense qui se forme inconsciemment pour faire en sorte d’annuler ce qui s’est passé car il est insoutenable qu’une personne qu’on aime nous fasse du mal. Mais plus la victime vieillit, moins cette amnésie tient. Les symptômes deviennent plus visibles", explique Bruno Clavier. Par ailleurs, selon certains spécialistes, la théorie du complexe d'Œdipe, inspirée par la mythologie grecque (Œdipe tue son père et épouse sa mère), peut entraîner une forme de culpabilité chez la victime. Plus l’agresseur est proche de la victime, plus la révélation tarde à se faire. Seulement une victime d’inceste sur 10 (9%) parle au moment des faits, d’après la Ciivise.

La suite après cette publicité

Que dit la loi française ?

L’inceste est interdit par la loi. Ces comportements, perpétrés sur un mineur par une personne ayant une "autorité de droit ou de fait", sont traités juridiquement de la même manière que des viols ou des agressions sexuelles. La loi du 21 avril 2021 a créé de nouvelles infractions pour protéger les mineurs des délits sexuels et de l’inceste. Ainsi, le crime de viol incestueux sur un mineur de moins de 18 ans est puni de 20 ans d’emprisonnement par le Code pénal et le délit d’agression sexuelle incestueuse sur un mineur de moins de 18 ans est passible de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000€ d’amende. La question du consentement n’entre pas en ligne de compte, la loi considère qu’en cas d’inceste sur un moins de 18 ans, il ne peut jamais y avoir consentement. En ce qui concerne le délai de prescription, la victime a jusqu’à 20 ans après sa majorité pour porter plainte pour l’agression sexuelle subie et jusqu’à 30 ans après sa majorité en cas de viol. Lorsque l’agresseur a commis postérieurement de nouvelles agressions sur au moins un autre mineur, cela reporte le délai de prescription à compter de la dernière infraction commise.

La suite après cette publicité

Cependant, d’après la Ciivise, dans les affaires d’inceste, une plainte n’est déposée que dans 12 % des cas et seulement 1 % de ces viols et agressions sexuelles commis chaque année sur des enfants sont condamnés.

Associations, thérapie... Quelles aides possibles pour la victime d’inceste ?

70 % des victimes confient avoir été crues lorsqu’elles en ont parlé mais 45 % des enfants qui ont révélé ces faits au moment où ils se produisaient n’ont pas été mis en sécurité et n’ont pas bénéficié de soins. Ainsi, 27 % demandent de ne pas en parler et 22 % vont jusqu’à rejeter la faute sur la victime. "Le phénomène de l’inceste a longtemps été nié dans la société mais les choses changent petit à petit depuis l’apparition du mouvement #Metoo", observe le psychologue.

Il est important que les parents rappellent aux enfants que leur corps leur appartient et que personne ne peut toucher leurs parties intimes. Si l’enfant se sent mal à l’aise face à certains gestes qui lui semblent déplacés, il doit savoir qu’il y a des adultes (famille, infirmière scolaire, professeur, médecin, assistante sociale, éducateur...) qui sont là pour l’écouter et le protéger, même si l’agresseur lui a dit de se taire. Diverses structures réparties en France peuvent également être contactées :

  • Centre de santé sexuelle,- Maison des ados, - Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF)- Association France victimes...
  • Les victimes d’inceste peuvent trouver une écoute bienveillante du lundi au vendredi de 10h à 19h sur la ligne « On vous croit » au numéro 0 805 802 804 (et au 0 800 100 811 pour l’Outre-mer). L’appel est anonyme et gratuit.Même chose pour Allô Enfance en Danger, une ligne d’écoute gratuite et anonyme joignable 24h/ 24 et 7 jours sur 7.
La suite après cette publicité

Au niveau thérapeutique, Bruno Clavier recommande une prise en charge multiple et complémentaire : EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, en anglais), hypnose, TABC (Technique d’Abréaction Bilatérale et Circulaire, élaborée par Bruno Clavier pour traiter les conséquences de l’amnésie), etc.


Sources
Partager sur :

Newsletter Bien Vieillir

Recevez nos dernières actualités pour rester en forme

Doctissimo, met en oeuvre des traitements de données personnelles, y compris des informations renseignées dans le formulaire ci-dessus, pour vous adresser les newsletters auxquelles vous vous êtes abonnés et, sous réserve de vos choix en matière de cookies, rapprocher ces données avec d’autres données vous concernant à des fins de segmentation client sur la base de laquelle sont personnalisées nos contenus et publicités. Davantage d’informations vous seront fournies à ce sujet dans l’email qui vous sera adressé pour confirmer votre inscription.

Merci de votre confiance

Découvrez toutes nos autres newsletters.

Découvrir