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"Les humains ne sont pas des déchets": l’incompréhension d’Edouard Durand, écarté de la Ciivise

EXCLU RMC. Ecarté de la tête de la Ciivise (commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), le magistrat Edouard Durand fait part de sa grande incompréhension et de son inquiétude pour l’écoute des enfants victimes à l’avenir.

La Ciivise maintenue, mais avec un nouveau président. Sébastien Boueilh, ex-rugbyman et fondateur de l'association "Colosse aux pieds d'argile, succède au juge Edouard Durand, qui co-présidait la commission notamment chargée de lutter contre l'inceste depuis sa création en mars 2021 avec la responsable associative Nathalie Mathieu. "Après trois ans de travail (...), il est essentiel de maintenir l'élan créé contre les violences sexuelles subies par les enfants", a commenté la secrétaire d'État à l'Enfance Charlotte Caubel, dans une déclaration transmise à l'AFP. Après cette mise à l’écart, Edouard Durand ressent lui une profonde incompréhension et une vive inquiétude.

Sur RMC, ce mardi, il confie qu’il "ignore" pourquoi le gouvernement a décidé de se passer de ses services. "Il y a sans doute des raisons, je ne les comprends pas bien, explique-t-il dans Apolline Matin. Personne n’est irremplaçable, mais personne n’est jetable. Tout n’est pas du marché. Les humains ne sont pas des déchets. Il y a une chose que je voudrais dire, c’est un silence. Dans le communiqué du gouvernement, il n’y a pas un seul mot pour les personnes qui ont confié leurs témoignages à la Ciivise. Les silences sont éloquents. Les vides sont parfois à envahir tout l’espace. Pas un mot… La Ciivise, ça aura été ça pendant trois ans, un espace de reconnaissance."

"Je n’ai pas compris ce que mes interlocuteurs m’ont dit, poursuit Edouard Durand sur RMC. C’est sans doute que moi-même, je me suis mal fait comprendre. Ce n’est pas une histoire de personne. J’ai entendu quelqu’un dire : ‘Ce n’est pas le combat d’un homme’. C’est d’une vulgarité sans nom. Bien sûr que ce n’est pas le combat d’un homme. C’est le combat d’une société. Mais les engagements, ça compte. Il faut pouvoir soutenir les engagements. De nombreuses personnes qui ont témoigné à la Ciivise ont lu le rapport. Et elles ont dit: ‘A chaque page, j’ai cru lire ma biographie’. Après ça, vous pouvez mourir."

"On est dans un système d’impunité"

Edouard Durand craint désormais que la parole des victimes ne soit plus aussi bien prise en compte. "Ce n’est pas une question de personne, mais de doctrine, souligne-t-il. Ce n’est pas la couleur de mes cheveux, la forme de mon nez, ou les rayures de mon costume qui posent problème. Enfin, je l’espère. Si on veut changer, c’est pour changer la doctrine, la ligne. Il faut croire l’enfant qui révèle des violences. Si on dit à des adultes ‘on vous croit’, alors à l’enfant qui révèle des violences, il faut dire ‘je te crois, je te protège’. C’est ça qui doit demeurer."

"Il ne peut pas y avoir de raison de ne pas reconduire ceux qui souhaitent être maintenus sinon leurs idées", ajoute le magistrat, ancien juge des enfants à Marseille et à Bobigny. Pour Edouard Durand, la Ciivise va désormais "repartir de zéro". "Nous avons créé un outil de formation des professionnels pour protéger les enfants, rappelle-t-il. Nous avons demandé un plan de formation interministériel et nous l’avons mis en œuvre la semaine dernière. Et les professionnels étaient là, 150 référents pour toute la France qui vont former les autres professionnels. Et maintenant, on repart à zéro."

A-t-il le sentiment d’avoir payé ses critiques contre la justice, notamment? "Moi, je ne fais pas de procès d’intention. Je pense que, quand on a 160.000 enfants qui sont victimes chaque année et un nombre de condamnations qui est proche de zéro, on est dans un système d’impunité, assure-t-il. Pour les soins, c’est la même chose. La société fonctionne dans le déni. Ça se voit dans toutes les réponses institutionnelles. Si on ne part pas du déni, on ne peut pas changer."

Edouard Durand se pose désormais des questions sur l’application des mesures souhaitées préalablement par la Ciivise. "L’avenir le dira, explique-t-il. Nous avons fait 82 préconisations. La question est simple. A partir d’aujourd’hui, quand un enfant dira à un adulte ‘j’ai été victime de violences sexuelles’, quelle réponse va-t-il obtenir? Soit il sera mis en sécurité, soit on lui dira ‘écoute, on verra plus tard’. C’est la réponse à cette question qui compte."

Laurent Picat Journaliste RMC Sport