Parents s'engage pour lutter contre l'inceste

« Il faut croire les enfants quand ils parlent » : le témoignage de Mélanie, violée par son père et son frère

Publié le par Frédérique Payen

Mélanie a été victime d’inceste, violée pendant des années par son père et son frère. Son témoignage est dur, bouleversant. Avec un courage impressionnant, elle a accepté de nous raconter, pour que ça n’arrive plus, pour que les enfants soient enfin entendus.

Bonjour Mélanie, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Mélanie, j’ai 41 ans, je suis mariée et j’ai 4 enfants. J’ai été violée de l’âge de 13 ans jusqu’à 18 ans. Mes frères et sœurs ont aussi vécu ces viols. C’est mon père qui nous violait, avec la complicité de ma mère.

Parlez-nous de votre famille, parents, frères, sœurs…

Mes parents sont toujours mariés, et vivent toujours ensemble. Nous étions six enfants. Dans l’ordre : moi, Florian, Jessica, David, Sandra et Julien.

Que s’est-il passé ? Pouvez-vous nous parler de ce qu’il est arrivé ?

Depuis toujours, mon père était très violent avec nous. Et quand j’avais 13 ans, il a commencé à abuser de moi, puis de ma petite sœur Jessica qui en avait 9. Ma mère le savait, elle en a été témoin, elle a laissé faire. Elle nous a même forcés à tout subir, les viols, les violences, à ne rien dire. Elle nous disait que c’était normal, que c’était comme ça dans toutes les familles. On devait absolument se taire, n’en parler à personne. Elle nous menaçait, on avait peur.

Quand Florian a vu mon père agir sur nous, il a commencé à faire pareil, à abuser de ma sœur Jessica, et de moi. Pareil, on était obligées de se laisser faire. Florian abusait aussi de David et de Sandra, les plus petits. Ma mère et mon père agressaient aussi ensemble mes frères. Voilà mon histoire.

En avez-vous parlé autour de vous ? à une personne extérieure

Avant que les attouchements et les abus commencent, j’avais dénoncé les violences de mon père. Ses coups. J’avais 12 ans. Quand il l’a appris, il m’a tabassée. Suite à ma dénonciation, on a tous eu un suivi éducatif, avec des éducateurs qui venaient à la maison une fois par mois. Mais pour les viols, qui ont commencé quand j’avais 13 ans, personne ne s’est rendu compte de quoi que ce soit. Ou n’a voulu voir. Je n’arrivais pas à en parler, déjà à cause de la violence que j’avais reçue quand j’avais dénoncé les violences physiques, mais surtout parce que j’avais honte. Je me sentais seule. En fait mon père et ma mère ont réussi à nous faire croire que tous les parents faisaient ce qu’ils faisaient, que c’était normal de vivre ça. Que c’était un secret, et qu’on devait le garder entre nous. C’était ancré dans nos esprits et on était incapables d’en parler.

Jusqu’à quel âge vous avez pensé c’était “normal”, et que c’était dans toutes les familles comme ça ?

Mes parents exerçaient une grosse emprise sur nous, par la terreur et la manipulation. Ils ont carrément brisé mes frères, par la violence, en fait pour pouvoir abuser d’eux ils ont brisé leurs esprits. À tel point qu’aujourd’hui, David et Julien ont des troubles mentaux.

Quand j’ai eu 16 ans, un jour Sandra, ma plus jeune sœur elle est venue me voir en pleurant en disant que Florian l’avait violée. Elle avait 6 ans, lui en avait 14. Ma mère était au courant, mais elle n’a rien dit. Ce jour-là, j’ai frappé mon frère, de toutes mes forces. J’avais une haine terrible. C’est mon père qui nous a séparés, je l’ai insulté, je l’ai traité de tous les noms, j’étais dans une rage folle, qu’il protège mon frère, que tout se répète, qu’on n’en sorte jamais des viols et des violences. Mon père a pris mon frère à part, ils sont sortis, en fait je ne sais pas ce que j’espérais, mais j’avais l’espoir que ça allait se terminer. Au contraire, mon père a laissé Florian continuer. J’ai vécu ça comme un échec, une malédiction. Ça ne s’arrêterait jamais !

Que s’est-il passé ensuite ?

J’ai fugué, j’ai quitté la maison. Je suis allée voir les éducateurs, j’ai tout raconté à l’éducatrice. J’ai tout de suite été placée en foyer avec mes sœurs, Jessica et Sandra. Ensuite, on est parties en famille d’accueil. Mais David, je ne sais pas pourquoi, on l’a laissé avec ma mère. Florian et mon père ont été mis en garde à vue. Mon frère a tout de suite avoué, il demandait pardon pour ce qu’il avait fait. Mon père, lui, a tout nié, et il continue à le faire aujourd’hui. Comme Florian était mineur, il a passé six mois dans un centre pour jeunes délinquants, et il est retourné vivre avec ma mère, qui était restée à la maison. Elle, elle a toujours tout nié en bloc.

Comment s’est déroulée l’enquête ?

Après ma fugue, tout s’est enchaîné. J’ai dénoncé mon père et porté plainte. C’est l’éducatrice qui m’a accompagnée et soutenue. Elle m’a accompagnée aux rendez-vous avec la police, le juge pour enfants, le juge d’instruction. L’enquête a duré trois ans. Puis on est passés en justice, et mon père a été condamné.

Quelle a été l’attitude du reste de votre famille ? de votre entourage ?

Tout le monde a dit qu’ils n’avaient rien vu, ni rien soupçonné. Jamais. Les éducateurs, eux, venaient chez nous une fois par mois depuis que j’avais dénoncé les violences physiques. L’éducatrice voyait qu’il y avait quelque chose qui se passait, dont on n’avait pas le droit de parler. Elle est venue plus souvent, une fois par semaine. Elle essayait de nous faire parler, mais c’était impossible. C’est apparu dans le rapport. A l’école, on parlait ne pas non plus. Je subissais des moqueries, parce qu’on voyait que j’étais malheureuse, ça se voyait sur mon visage. On m’a même harcelée parce que je n’étais pas comme les autres. J’en avais parlé avec mon petit ami, en fait je voulais avoir un petit copain avant que mon père commence à me violer, parce que je ne voulais pas que mon père soit le premier. A lui, je lui en ai parlé. Il a tout raconté au quartier, et tout le monde s’est moqué de moi. Alors je n’ai plus parlé à personne, jusqu’à porter plainte.

Et la plainte, le procès ?

Quand j’ai porté plainte, après mon départ de la maison, ma mère m’a dénigrée devant toute la famille. Elle a dit que j’étais qu’une menteuse, et elle a demandé à tout le monde, famille, amis, des attestations sur l’honneur comme quoi il s’occupait bien de nous et qu’il n’y avait pas eu de problème. Tout le monde m’a tourné le dos, je n’ai eu aucun soutien. Ce n’est que bien plus tard qu’on a pu être entendus, après le jugement.

Quand il y a eu le jugement et que mon père et mon frère ont été jugés coupables, ma famille s’est rendu compte qu’il y avait un problème ! Ils ont demandé à Jessica, ma sœur, ce qu’il s’était vraiment passé. Elle leur a tout raconté. C’est comme ça qu’ils sont revenus tout doucement vers moi, mes oncles, mes tantes, et même mes grands-mères, qui ne m’avaient jamais crue. Moi je ne voulais plus les voir. D’abord parce que j’étais loin – j’avais été placée en foyer, puis en famille d’accueil loin de chez mes parents. Jessica me disait qu’ils demandaient souvent de mes nouvelles, du coup j’ai fini par retourner voir mes grands-mères, et renouer un petit peu. Elles se sentaient coupables, et m’ont dit « mais si vous étiez venus nous voir on vous aurait protégés ». Mais comment en parler quand personne ne vous écoute ?

Quel soutien avez-vous reçu ?

Pendant toute la période de justice, j’ai reçu beaucoup de soutien des éducatrices. Aussi des psychologues. Et de ma famille d’accueil, qui a été très présente. Le procès, toutes les confrontations, ça a duré 3 ans. C’était horrible. J’ai vu des experts psychiatres, heureusement, ça m’a aidée. En fait au tout début de ma dénonciation, à la police, j’ai commencé à dire ce que j’avais vu, ce que mes frères subissaient par mes parents. Il faut que je parle de David : à la suite de ce qu’il avait subi, il avait un gros retard de langage et de développement. A ce moment-là de l’enquête, il ne parlait quasiment pas, on le comprenait très mal. David était dans un institut spécialisé pour enfants handicapés, un IME. Moi j’arrivais un peu à le comprendre, je suis sa sœur, mais les policiers n’arrivaient pas à le comprendre quand il parlait. Une fois, avec des psychologues, il a mimé avec des peluches ce que mes parents lui faisaient subir, les gestes, les positions sexuelles. Le juge pour enfants a ordonné des examens médicaux, et on a vu que son cerveau avait arrêté de se développer à cause du traumatisme. David a eu le cerveau brisé.

Et Florian ?

Au moment de l’enquête, la police m’a dit qu’il fallait absolument que Florian parle, et ils n’ont jamais réussi à le faire parler. En privé, il m’a dit que mes parents lui faisaient des menaces et du chantage pour qu’il se taise. C’est seulement cinq ans après le procès qu’il m’a décrit les viols et avoué que Julien est son fils. Il n’avait rien dit pour pouvoir continuer à le voir. Il a passé 6 mois dans un centre pour jeunes délinquants. Après, il a fait une grosse dépression, mais il a arrêté le suivi psy suite aux pressions de mon père. Il n’a jamais pu s’en sortir. Pour lui, les viols, les violences, c’était normal, il n’avait pas connu autre chose et a reproduit ce qu’il avait vécu.

A quoi ont été condamnés vos parents ?

Quand on est arrivés au procès, ma mère aussi devait être jugée. Elle s’est présentée avec un bébé dans les bras, c’était mon petit frère Julien. C’est difficile à dire, mais Julien, c’est le fils de Florian et de ma mère. Oui. Donc il est à la fois mon frère et mon neveu en même temps. A ce moment-là, mon père était en prison (en préventive ndlr). Au procès, ma mère a dit « Mais vous pouvez pas me mettre en prison avec un bébé dans les bras ? ! » Elle a été condamnée, mais n’a pas fait de prison, elle a eu 3 ans de sursis avec obligation de soins.

Mon père, lui, devait faire 36 mois de prison ferme. Il n’en a fait que 18, et a été relâché pour bonne conduite.

Nous, mes sœurs et mes deux petits frères, on a eu ce qu’on appelle des “dédommagements”. C’est de l’argent, mais de l’argent sale. Ça ne répare rien, ça ne répare pas notre âme, ni notre corps, ça ne répare rien. On est brisés. Je ne sais pas si on arrivera à se reconstruire un jour.

Que savez-vous sur vos frères et sœurs aujourd’hui ?

Florian est décédé dans un accident de voiture à 26 ans.

Jessica a refait sa vie, elle a un mari et deux enfants, tout se passe bien pour elle.

Ma sœur Sandra est retournée vivre chez nos parents il y a deux ans, elle a 32 ans aujourd’hui. Je ne comprends pas, je ne sais pas comment elle fait. Je sais qu’elle est incapable d’avoir des relations amoureuses, parce que dès qu’il y a un rapprochement physique, elle fait des crises d’angoisse et des crises de panique.

David vit avec quelqu’un et a des enfants. Il a reproduit la violence physique de mon père, il est violent avec sa femme et la rabaisse tout le temps. Il a aussi été violent sur ses enfants, ils ont été placés.

Julien a 18 ans aujourd’hui, il ressemble énormément à mon frère Florian, qui est son père biologique. Il vit toujours chez mes parents. Je sais qu’il a subi d’autres viols pendant longtemps, de mes parents. Il en a parlé à Jessica et Sandra, en disant que ça se passait tous les matins. Elles ont fait un signalement à la police, mais ça a été classé sans suites. La police a demandé que David porte plainte parce que mes parents et Florian n’ont été punis que pour les viols que nous, les filles, avons subis, mais il refuse. Mes parents lui ont aussi fait des menaces et il n’a pas la force d’affronter un nouveau procès.

Et vous, Mélanie ?

J’ai quatre enfants, une grande fille que j’ai eue d’une première union. J’ai quitté le père de ma fille quand j’ai appris qu’il avait violé quelqu’un avant. Il a été jugé pour viol pendant qu’on était ensemble. Ça été terrible de vivre ça.

Ensuite, j’ai eu deux enfants avec un autre homme, une fille qui a aujourd’hui 16 ans, et un garçon de neuf ans. Je l’ai quitté parce qu’il était violent avec moi. Je n’ai pas voulu porter plainte, par peur d’affronter encore un procès.

Aujourd’hui, je suis de nouveau mariée, avec un homme avec qui tout se passe bien, et nous avons une petite fille de 14 mois.

Je ne vois plus mes parents, je ne les ai jamais revus.

Pensez-vous vous être “reconstruite”, aujourd’hui ?

J’ai voulu parler pour que tout ça s’arrête, pour briser la reproduction des viols et des violences. Pour que mes enfants ne connaissent pas ça.

Pendant toute mon adolescence, mes parents m’ont répété que c’était un secret de famille, qu’il ne fallait pas en parler. Quand j’ai parlé, avec la plainte, ma mère a fait des dépressions. Elle m’écrivait des lettres dans lesquelles elle me menaçait, me traitait de menteuse, me disait que j’allais aller en prison pour faux témoignage. Elle m’a dit aussi que chez elle, son père la violait, et qu’elle ne l’avait jamais dit, elle.

Moi, j’ai voulu arrêter tout ça. Mais je ne sais pas si je vais me reconstruire. Se reconstruit-on vraiment, après ça ? Je vis avec l’angoisse de faire revivre ça à mes enfants. Les psys me disent : « Vous avez parlé, vous avez cassé la répétition de ce que vous avez vécu, ça n’arrivera plus ». Mais quelque part, dans un coin de ma tête, je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur, d’être en alerte.

Je continue le suivi psy, je pense jusqu’à la fin de mes jours. Je sais que j’ai des séquelles, j’ai peur des gens, je suis toujours sur la défensive. J’ai beaucoup de mal à créer des amitiés et à faire confiance.

J’ai longtemps été suivie, parce qu’on avait peur que je mette fin à mes jours, et même que je tue mes parents. Oui, que je tue mes parents.

Vous en avez parlé à vos enfants ?

Mon fils de 9 ans se demande pourquoi il ne voit pas ses grands-parents, pourquoi je ne parle jamais d’eux. Mais il est trop petit pour que je lui explique. Je lui dirai plus tard. A ma fille aînée, j’en ai parlé. Il faut parler. Pour que ça n’arrive plus, plus jamais. Il faut protéger les enfants. Il faut croire les enfants, les écouter. Moi, personne ne m’avait crue.

Propos recueillis par Frédérique Payen

Oui
il y a 2 mois
Les écrans sont une addiction comme les autres. En abuser c'est consentir à droguer son enfant en le rendant dépendant de la communication virtuelle, ...
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il y a 7 jours
Oui et non. 1. ​Oui ​pour la télévision , 2. ​non pour l'internet. 1. ​Nous avons renoncé à la télévision depuis 2010 ! ​2. ​Pour ​int...
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