Prrotection des mineurs de la pornographie

Pornocriminalité : un an après le rapport du Sénat, le Haut Conseil à l’Egalité dénonce « l’inaction » des pouvoirs publics

Le Haut Conseil à l’Egalité vient de remettre au gouvernement un rapport choc sur l’industrie pornographique. Il y dénonce des actes « de tortures » « un massacre des femmes à but lucratif ». Il pointe également « l’inaction » des pouvoirs publics face à cette « pornocriminalité ». Plusieurs de ses recommandations ont été rejetées par le gouvernement cet été au Sénat, lors de l’examen du projet de loi sécurisation de l’espace numérique.
Simon Barbarit

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Un an après les travaux du Sénat, un autre rapport alerte sur les violences sexuelles dans l’industrie pornographique. Intitulé « Pornocriminalité. Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique », le rapport du Haut Conseil à l’Egalité, une instance indépendante placée auprès de la Première ministre, dresse lui aussi plusieurs constats édifiants.

Après avoir étudié pendant un an et demi les quatre principales plateformes pornographiques (Pornhub, XVideos, Xnxx, Xhamster), le Haut Conseil a constaté que « 90 % des contenus pornographiques contiennent de la violence physique ou verbale, et sont donc pénalement répréhensibles ». Citant certaines pratiques recherchées sur ces plateformes, « triple anal », « étranglement », « bukkake », « gangbang », le rapport évoque « la torture » et « un massacre des femmes à but lucratif ». « Culture du viol, déshumanisation des femmes, apologie de l’inceste, racisme, pédocriminalité, LGBTphobies… La pornographie est à l’intersection de toutes les haines et s’inscrit dans le continuum des violences », insiste les auteurs.

Le Haut Conseil, présidé par Sylvie Pierre Brossolette, n’hésite pas non plus à pointer « les inactions des autorités face aux illégalités de la pornographie ». Du côté de la Haute assemblée, les élus ne tombent pas de l’armoire en prenant connaissance des constatations du HCE. « Je me réjouis qu’une deuxième institution reprenne et prolonge notre rapport. Nous avons ouvert le dossier il y a un an et demi. Nous avons fait 23 propositions. Neuf ont été reprises dans le projet de loi de sécurisation de l’espace numérique. C’est très bien que le Haut Conseil s’empare aussi du sujet. D’ailleurs l’une de nos premières recommandations était d’imposer ce sujet dans le débat public », rappelle la sénatrice centriste, Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et co-auteur du rapport d’information : « Porno : l’enfer du décor ».

Restriction d’accès aux sites porno pour les mineurs : le gouvernement fait « fausse route »

Le rapport du Haut Conseil va-t-il peser sur la loi de sécurisation de l’espace numérique qui va être examiné dans les prochains jours à l’Assemblée nationale ? « Il faudrait pour ça que le gouvernement accueille différemment les amendements que lors du passage du texte au Sénat », temporise Laurence Rossignol (PS), également co-auteure du rapport sénatorial. Trois ans après la loi du 30 juillet 2020, qui sous l’impulsion du Sénat, avait contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs, les mineurs ont toujours accès librement à ces contenus. « La consommation massive dès le plus jeune âge renforce la culture du viol, banalise et augmente la violence sexuelle. Les études sont claires : les garçons exposés à la pornographie présentent 3,3 fois plus de risques d’avoir des comportements sexuels préjudiciables », rappelle le HCE.

Afin d’obliger les sites pornographiques à contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs, le texte voté par le Sénat prévoit de donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites qui ne proposeraient pas de vérification assez solide et opérationnelle. Reprenant l’avis du Conseil d’Etat, le projet de loi charge l’Arcom d’établir « un « référentiel » déterminant les « exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge ». Comme nous l’écrivions ici il y a quelques mois, de nombreux obstacles techniques et juridiques entourent ce projet de référentiel. « C’est un texte très en dessous des attentes. L’industrie du porno a décrété qu’elle n’avait pas la capacité d’appliquer la loi. Avec ce référentiel, nous sommes en train de passer à une obligation de résultat à une obligation de moyens », se désole Laurence Rossignol qui avait déposé un amendement de suppression de ce référentiel.

Son constat est partagé par le HCE qui estime que l’exécutif fait « fausse route » avec ce référentiel. « Il sera source de nouveaux recours dilatoires par l’industrie ». « C’est aux sites pornographiques de déployer un dispositif technique conforme au droit, pas aux autorités », insiste le Haut Conseil.

« On a travaillé avec le gouvernement pour trouver des outils destinés à rendre la vie impossible à l’industrie du porno. Si à l’Assemblée nationale, les députés arrivent à aller plus loin tout en respectant le RGPD (le règlement général sur la protection des données). Je leur dirai bravo », répond, fataliste, Annick Billon.

Renforcer les pouvoirs de Pharos

D’autres préconisations du HCE rejoignent celles du Sénat. Le Haut Conseil appelle à « étendre le pouvoir de police administrative pour permettre le retrait ou le blocage par Pharos de toutes les atteintes volontaires graves à l’intégrité de la personne ». Le Haut Conseil à l’Egalité a signalé 35 vidéos, aux titres explicites du type, « écolière se fait sodomiser », « Papa baise moi », « Une rousse se fait électrocuter, torturer et baiser… « Aucun de nos signalements à Pharos sur ces contenus à l’illégalité flagrante n’a été suivi d’effet. Tous les contenus sont en ligne. Zéro résultat », ont constaté les auteurs.

Le rapport d’information du Sénat préconisait aussi de « créer une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux comptabiliser les signalements ». Les sénatrices auteures du rapport avaient constaté que « les viols filmés et la pornographie violente » ne rentraient dans aucune catégorie de signalement. « Le gouvernement n’a pas souhaité créer une cinquième branche de Pharos car la plateforme manque d’agents. Ça ne servait à rien de légiférer si on n’est pas en mesure d’appliquer la loi », Annick Billon.

Nouvelle définition de la « pédopornographie »

Le HCE demande également de « définir la pédopornographie afin de lever toute possibilité de divergence d’interprétation ». Une préconisation qui reprend la encore un amendement de Laurence Rossignol, lui aussi rejeté lors de l’examen du texte. L’article 227-23 du code pénal définit la pédopornographie comme « l’image ou la représentation d’un mineur se livrant à un comportement sexuellement explicite, réel ou simulé ». Or de nombreux contenus banalisent les relations sexuelles entre adultes et mineurs sans qu’il soit possible de connaître l’âge des personnes filmées. Raison pour laquelle, Laurence Rossignol demandait à réécrire cet article du code pénal en insistant sur « l’intention de représenter un mineur par des images ou contenus à caractère pornographique ».

« J’avais proposé de frapper du même interdit que la pédopornographie, la mise en scène d’une relation majeur- mineur. On est dans une société qui prétend lutter contre les violences faites aux enfants et on continue de protéger cette industrie. On nous explique que le porno est légal, mais la mise en scène de torture et de barbarie, les injures sexistes, c’est illégal. Nous avons déjà les outils pour partir à la chasse contre les violences sexuelles et sexistes », estime la sénatrice.

« L’inaction de l’exécutif, ce n’est pas une opinion, c’est factuel »

En ce qui concerne le droit à l’oubli, « soit le retrait simple et effectif de contenus à caractère sexuel à toute personne filmée qui le sollicite, sans autre condition que de prouver qu’il s’agit d’elle », demandé par le HCE, là encore, cette proposition a été rejetée par le gouvernement cet été lors de l’examen du projet de loi au Sénat. L’amendement de la sénatrice communiste, Laurence Cohen, également co-auteure du rapport de la délégation aux droits des femmes, avait été rejeté avec un avis défavorable du gouvernement.

Ce mercredi, après la remise du rapport du HCE, l’exécutif semble avoir entendu les accusations « d’inaction ». « L’inaction de l’exécutif, ce n’est pas une opinion, c’est factuel », appuie Laurence Rossignol.

Quoi qu’il en soit, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard, a déclaré vouloir « mettre fin à ce qui doit désormais être qualifié de pornocriminalité ». La ministre a annoncé la création d’un groupe de travail, qu’elle présidera, impliquant les ministères de l’Intérieur, la Justice, le Travail, la Culture et le Numérique pour mener une « réflexion approfondie » sur trois thèmes : « le respect du droit du travail » dans l’industrie pornographique, « le retrait des contenus comprenant des tortures et actes de barbarie » et la « suppression des contenus pour les victimes de l’industrie pornographique qui le souhaitent ».

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