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Femmes coupables

Violette Nozière : comment une empoisonneuse et parricide a levé le tabou de l’inceste au 20e siècle

Femmes Coupables

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Par Juliette Prouteau

En août 1933, à Paris, Violette Nozière, une jeune femme de 18 ans, issue d’un milieu modeste, assassine son père en l’empoisonnant. Non seulement Violette tue son père, crime suprême s’il en est, mais elle dénonce aussi les viols dont il s’est rendu coupable, les années d’incestes qu’elle a subies. Or, à cette époque, parler d’inceste, dire ce crime, était plus grave que le crime lui-même…

Pour certains artistes, poètes, pour les gens de gauche, il y a quelque chose de l’ordre d’une réaction à la violence de l’oppression bourgeoise dans cette affaire. Mais pour les autres, pour leur reste de la société traditionnelle ou conservatrice, Violette Nozière est une menace immense à l’ordre moral.

Mais si elle n’était ni l’une ni l’autre ? Ni l’incarnation d’une jeunesse ouvrière avide de liberté ni une menace à la morale bourgeoise ? Si Violette n’était pas un symbole autre que celui d’une enfant qui tente par tous les moyens d’échapper à un père violeur, incestueux ?

Si une telle lecture des faits, devrait être privilégiée aujourd’hui, à l’époque, elle était impossible. À l’époque, il ne peut y avoir qu’une victime, et ça n’est pas Violette Nozière. Cette affaire va lever un tabou et secouer les mœurs de toute une société…

► Plongez-vous dans l’intégralité de ce procès dans cet épisode du podcast Femmes coupables, avec comme invitée Anne-Emanuelle Demartini, Historienne, autrice de Violette Nozière, la fleur du mal, une histoire des années 30.

Accusée d’avoir empoisonné ses parents, Violette Nozière est condamnée à mort le 12 octobre 1934.
Violette Nozière dans le box des accusés lors de son procès à Paris en 1934.

Un style de vie intolérable pour l’opinion publique à l’époque

Enfant unique, née juste après la fin de la Première Guerre mondiale, Violette Nozière grandit dans une famille modeste, ses parents, Germaine et Baptiste, étant cheminots. Jusqu’à ses 12 ou 13 ans, elle est une élève sérieuse… et puis les choses se dégradent.

Elle se fait renvoyer régulièrement de son lycée, se forge une "réputation". Elle fait les 400 coups, et pour s’amuser, pour sortir au café, dans les brasseries, pour être chic, élégante, il faut de l’argent. Cet argent, elle va le chercher directement là où il est : dans les poches de ses parents, en volant les commerçants de son quartier. Et puis, petit à petit, plus elle grandit, plus elle veut voir grand.

Si Violette a des envies qui ne correspondent pas à son milieu modeste, elles ne correspondent pas non plus à son genre. Car sa liberté, Violette l’applique dans tous les aspects de sa vie, y compris les plus intimes : dans son rapport à son corps, et à sa sexualité. Elle pose nue dans un magazine pour de l’argent, elle a des amants…

Autrement dit, selon les critères en vigueur à l’époque, à l’encontre des femmes, c’est peu dire qu’elle n’est pas sur le bon chemin. Et celui-ci prend une nouvelle tournure quand elle rencontre Jean Dabin, parieur, flambeur, endetté. Il a des goûts de luxe et profite de l’argent de Violette, qu’il imagine riche héritière. La jeune fille l’entretien, coincée entre son mensonge et l’envie de vivre le style de vie qu’il incarne.

À un moment, la frustration, la colère sourde qui monte dans l’esprit de Violette atteint un point de non-retour. Pour qu’elle puisse être libre, ses parents doivent disparaître. Ils doivent mourir pour lui permettre de vivre comme elle le souhaite… À moins que ce ne soit pour se libérer d’autre chose ?

Parce que cette description, c’est celle des journaux de l’époque, traduisant le regard de la société d’alors sur cette jeune femme.

Une double tentative d’assassinat de ses parents

Le 23 mars 1953, elle achète dans une pharmacie un tube de Soménal, un somnifère et un barbiturique. Sous un faux prétexte, elle convainc Germaine et Baptiste d’en prendre. Mais la dose est trop faible. Si les parents font un malaise, par hasard, un début d’incendie se déclare dans l’appartement des Nozière. Les voisins sont alertés par Violette, et les parents sont emmenés à l’hôpital. Leur malaise sera mis sur le compte de la fumée toxique. Toute la famille retourne rapidement dans le deux-pièces cuisine.

Presque cinq mois plus tard, jour pour jour, Violette renouvelle l’expérience… avec plus de succès.

Le soir du 21 août 1953, après une énième dispute, son père ayant trouvé une lettre de Jean, Violette sort de nouveau le tube de Soménal. Elle a appris la leçon de sa première expérience : elle verse une très grande dose de ces pilules écrasées dans les verres de vin de Germaine et Baptiste. Elle leur dit, "faisons la paix, trinquons". Le père boit son rouge cul sec. Il s’effondre, raide mort. Germaine, qui trouve le vin acide, ne finit pas son verre. La mère tombe dans les pommes et se heurte la tête.

Violette vide alors les tiroirs et les poches de son père, récupère 3000 francs, et quitte l’appartement. On ne sait pas exactement ce qu’elle fait ensuite, on sait qu’elle se promène dans le bois de Vincennes à côté de chez elle, qu’elle rejoint le quartier latin, y prend une chambre d’hôtel. Le lendemain, elle enchaîne rendez-vous chez le coiffeur, déjeuner au café du Palais, son QG, un peu de shopping. Le soir elle retrouve son amie Madeleine pour aller danser à Montmartre.

Après le bal, elle retourne chez ses parents, allume le gaz pour faire croire à un suicide et file donner l’alerte à ses voisins. Quand les secours arrivent, ils constatent le décès de Baptiste Nozière, mais Germaine, dans le coma, est encore vivante. Violette, qui s’est enfuie entre-temps, est arrêtée, le 28 août 1933, une semaine après son crime.

Par la suite, cet emploi du temps sera largement utilisé contre elle, comme une illustration de sa cruauté, de son absence totale de remords…

Le risque de la guillotine pour une femme, un cas extrêmement rare

Le 10 octobre 1934, Violette Nozière, 19 ans, entre dans la salle d’audience de la cour d’assises de la Seine, à Paris.

À l’époque, le crime pour lequel elle est jugée est tout sauf ordinaire. Violette risque sa tête d’ailleurs, au sens littéral du terme, elle risque sa tête dans ce procès. D’ordinaire, à cette époque, la tradition judiciaire voulait que les femmes échappent à la guillotine, un signe de compassion ou de pitié de cette justice d’hommes pour le sexe faible.

Mais pour elle, cela risque d’être différent. On n’empoisonne pas son père, on ne tue pas son père, et on n’essaye pas de se justifier en insultant sa mémoire, en inventant des atrocités dont on ne peut même pas dire le nom en public. Ce sont ses explications et ses accusations d’inceste qui placent Violette Nozière du côté de celles qui, malgré la tradition, risquent leurs têtes. Surtout si on a comme elle, un passé de débauchée, de dépravée, qui n’est certainement pas vu comme une quête d’émancipation…

Pourquoi Violette en vient à tenter par deux fois, et de réussir à la seconde tentative, de tuer ses parents ? Pourquoi le parricide est-il considéré comme le crime le plus abominable à l’époque ? Violette Nozière a-t-elle pu échapper à l’échafaud ? Récit et réponses sur cette affaire judiciaire qui a ébranlé toute la société française dans cet épisode de Femmes coupables.

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