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Rapport de la CIIVISE sur l’inceste après trois ans d’enquête

Par Marie Le Marois, le 20 novembre 2023

Journaliste

@Face à l'Inceste

[bref] La CIIVISE a rendu public son rapport, fruit de 30 000 témoignages. Les violences sexuelles, en grande majorité incestueuses, commencent tôt sur des enfants jeunes et impactent les victimes leur vie durant. La mise en œuvre des 82 préconisations de la commission sera moins coûteuse que le coût du déni : 9,7 milliards d’euros chaque année. Marcelle vous propose un résumé.

 

Par son rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », publié vendredi 17 novembre 2023, la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) restitue trois années d’enquête.

La réalité ? 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance. L’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques. Les deux tiers de ce coût faramineux résultent des conséquences à long terme sur la santé des victimes. La réalité, c’est d’abord le présent perpétuel de la souffrance.

 

Les caractéristiques des violences sexuelles

Le plus souvent, les violences sexuelles sont incestueuses. Dans 81% des cas, l’agresseur est un membre de la famille. Ou un proche de l’enfant et de ses parents dans 22% des cas. Dans 11% des cas, les violences sexuelles sont commises dans un cadre institutionnel, par un adulte le plus souvent. Enfin, 8% des violences sexuelles sont commises par un inconnu, dans l’espace public (rue, transports en commun, etc). 

Les violences sexuelles débutent très tôt. En moyenne, les victimes avaient 8 ans et demi au début de violences. Lorsque les violences sexuelles sont incestueuses, les victimes avaient 7 ans et demi au moment des premiers passages à l’acte. Pour 22% des victimes, soit près d’un quart des situations, les premiers viols ou agressions sexuelles ont commencé alors qu’elles avaient moins de 5 ans (entre la naissance et 5 ans). 

Les violences sexuelles sont répétées pendant plusieurs années. 64% des victimes rapportent avoir subi une ou plusieurs agressions sexuelles ; 38% rapportent avoir subi un ou plusieurs viols. Dans 86% des cas, les victimes ont subi plusieurs viols ou agressions sexuelles. Pour plus d’une victime sur 2, les violences ont duré plus d’un an. Pour une victime sur 4, les violences ont duré plus de 5 ans. Et pour une victime sur 10, les violences ont duré plus de 10 ans. 

 

♦ Le rapport de la Ciivise a été publié et remis à la secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, vendredi 17 novembre 2023

 

Les agresseurs

Dans 97% des cas, l’agresseur est un homme. Dans 81% des cas, il est majeur. Le plus souvent, les pédocriminels sont des hommes que nous côtoyons dans notre vie quotidienne : membres de notre famille, collègues… Ils peuvent être très bien insérés socialement ou vivre dans la précarité.

Ils ont en commun de jouir d’une domination d’âge, d’autorité, de statut et de sexe sur les enfants qu’ils violent. Le plus souvent, les agresseurs sont les pères (27%), les frères (19%), les oncles (13%), les amis des parents (8%) ou les voisins de la famille (5%).

 

Les conséquences des violences sexuelles

Conduites à risque, troubles psychiques et physiques : le psychotraumatisme. Les victimes rapportent l’adoption de conduites à risque (conduites addictives, expositions à des situations dangereuses, comportements agressifs envers soi-même ou envers les autres, etc.). Elles souffrent aussi troubles psychiques (dépression, conduites suicidaires, troubles alimentaires, etc.). Ces troubles peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé physique. 

Les conséquences sur la vie affective et sexuelle. Les violences ont également des conséquences importantes sur la vie affective et sexuelle des victimes : impact négatif sur leur libido (34%) ; renoncement à toute forme de vie sexuelle (31%) ; multiplication des partenaires voire des expériences à risque (36%). 

Un risque accru de subir à nouveau des violences. 31% des femmes qui ont témoigné à la CIIVISE sont victime de violences conjugales ou l’ont été au cours de leur vie.

L’absence de soutien social. Près d’un enfant sur deux qui révèle les violences au moment des faits n’est pas mis en sécurité et ne bénéficie pas de soins. Autrement dit, personne ne fait cesser les violences et n’oriente l’enfant vers un professionnel de santé. Parmi eux, 70% ont pourtant été crus lorsqu’ils ont révélé les violences. 

 

  • Le droit actuel ne prévoit la suspension de l’autorité parentale du suspect que lorsque les investigations policières prennent fin. Et que le procureur décide de poursuivre en justice le parent. L’association Face à l’inceste lance une pétition pour changer la loi.

 

82 préconisations de la CIIVISE : repérage des enfants victimes, traitement judiciaire, réparation incluant soin et prévention.

AXE 1 : Le repérage 

Organiser le repérage par le questionnement systématique des violences sexuelles dans tous les lieux de vie des enfants (médecin de famille, école…) Généraliser le repérage des violences sexuelles dans les situations de vulnérabilité spécifiques (grossesse à l’adolescence, enfants et adolescents hospitalisés à la suite d’une tentative de suicide). Créer un rendez-vous individuel annuel de dépistage et de prévention centré sur l’évaluation du bien-être de l’enfant.

AXE 2 : Le traitement judiciaire

Déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis contre les enfants

Créer une ordonnance de sûreté de l’enfant (OSE) permettant au juge des affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas d’inceste vraisemblable

AXE 3 : La réparation incluant le soin 

Garantir des soins spécialisés du psychotraumatisme aux victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Garantir une réparation indemnitaire prenant réellement en compte la gravité du préjudice et les préjudices spécifiques

Axe 4 : La prévention 

Renforcer le contrôle des antécédents avec le FIJAISV : Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes …

Maintenir la CIIVISE : Les victimes ont besoin de parler au-delà des tribunaux et des cabinets médicaux. Pour elles-mêmes, d’abord. Pour pouvoir enfin raconter librement ce qu’elles ont subi. Enfin, pour pouvoir être entendues par une société qui a trop longtemps ignoré leurs appels au secours, étouffé leurs cris, récusé leurs récits. Mais aussi pour les autres. 

 

♦ Face à l’inceste propose plusieurs outils de lutte. Son dernier est un cahier d’activités pédagogiques pour le 6/10 accompagné d’un adulte. Il est libre d’accès et gratuit ici.

Inceste, le combat continue